La galère du vacataire universitaire

Cela fait longtemps que je me pose cette question : est-ce que je parle de mon expérience de thésard vacataire pendant des années dans une université française ? A quoi ça cela peut servir, hormis râler un bon coup contre un système, tout un système, comme des millions d'autres personnes lorsque quelque chose ne vas pas, personnellement. Et puis je me dis que ça m'évitera d'être malheureux, en fait. Je crois que ce n'est que ça. D'éviter de garder pour moi une certaine forme d'injustice. Quelque part. Juste ça. De garder en moins quelque chose qui m'a perturbé au point d'avoir démarrer un début de dépression nerveuse assez sévère (et me faire prendre conscience que je n'étais pas invincible, ce que je pensais encore à ce moment là). Ca m'a remis les idées en place. A défaut d'avoir pu me faire une carrière professionnelle. Cela permettra aussi à tout ceux qui me connaissent d'en savoir un peu plus sur le pourquoi du comment.

Et puis, fondamentalement, je n'ai plus rien à perdre (sous entendre, plus rien à obtenir d'autres personnes de ce merveilleux milieu). Je ne citerais pas par contre le nom de ma faculté (ni de mon université), pour que le lecteur évite de penser que c'est un problème géolocalisé, alors que c'est un peu plus vaste que cela... et que ça concerne de toute façon notre magnifique système éducatif post bac qui se permet de donner des leçons au monde entier, avec une certaine forme de mépris.

J'ai donc été vacataire en université. Chargé de travaux dirigés, plus exactement. Ca marche aussi pour les travaux pratiques. Le principe est d'être payé 96 heures par an pour des cours que l'on donne. On est payé à l'heure. Une trentaine d'euro. 

On ne peut pas faire plus d'heures par an, sauf si on a déjà un CDI. Un CDI, parce que si tu viens avec tes fiches de paies en tant qu'interimaire, on n'accepte pas que tu puisses faire plus d'heures. C'est considéré comme du précaire. Donc c'est mal, mal, mal, tu comprends. Pareil avec un CDD, bouh, pas bien non plus. C'est  ce qui m'est arrivé. Pourtant, il y a des textes. En fait, c'est surtout une histoire de sécurité sociale que la faculté ne veut pas payer. Donc 96 heures par an. Pas une de plus. Mais ça peut être moins.

Le vacataire, c'est un thésard  Le mec fait une thèse. Sur un sujet assez chelou. Que le commun des mortels ne comprend pas. Et qui ne sert à pas grand chose sauf à devenir docteur. Le rêve ultime. Qui va t'ouvrir pas mal de portes (enfin il parait). 

Plein d'envie et de motivation, le vacataire est jeune. Il est heureux, il porte souvent un costard pour marquer la différence avec l'étudiant. Il prépare ses cours. Ne compte pas son temps. Surtout pas. Se remet à la page, cherche des pistes de réflexion pour ses étudiants. Bref, il bosse pour son futur métier, celui de "prof de fac" (ou plutôt, dans le jargon, maître de conférence, ou s'il passe l’agrégation  professeur). Cela peut être aussi une personne qui a déjà eu une carrière pro et qui vient la terminer sur une bonne note. Mais c'est une minorité.

Le vacataire, souvent, ne se rend pas bien compte qu'il est la dernière roue du carrosse au début. On l'a caressé dans le sens du poil : "tu fais partie de l'élite", "t'es pas comme les autres", "tu vas faire une grande carrière", "la faculté, c'est quand même super chouette". 

Le vacataire va de réunion en réunion pour les cours. Il va aussi surveiller les partiels de semestre. Il corrigera aussi en partie les copies. C'est bon pour la formation tout ça. Enfin, c'est ce qu'on lui a dit. Il remplace même des professeurs qui ne peuvent pas surveiller. Ou lorsque la secrétaire lui demande. Il est plein d'entrain, le petit. Et il a raison. Il faut.

Ca, c'est la première année. Tout est beau dans ce monde. Il a l'impression de faire partie d'une "maison". D'être quelqu'un. Il a évite soigneusement la proximité avec les étudiants, pour faire son boulot dans la plus grande neutralité possible. Il ne souhaite pas avoir de problèmes. Pas de bruits de couloir. Pas d'emmerdes, clairement. 

Puis vient la fin de cette première année. il attend son argent. Il a eu une petite somme au mois de janvier alors qu'il a bossé les quatre mois précédents.  "Parait que ça marche comme ça, on paye les vacataires à ce moment là"  Il aura le reste de sa somme, au mois d'août. Pour la même raison. Le vacataire est payé deux fois dans l'année.

Et il commence à comprendre. On se sert de lui. Le vacataire est pire qu'un stagiaire. Surtout quand il est étudiant (il est en doctorat, donc considéré comme étudiant même s'il bosse à coté mais qu'il n'a pas de CDI, voir au début de ce texte). Il n'a pas de revenus mensuels. Il n'a pas le droit à ça. Il n'a pas réussi à être allocataire lors de la sortie de son Master. Places de toute façon assez souvent réservées à ceux qui étaient dans les petits papiers en première année de master. Il aurait aimé croire que ce n'était pas le cas, lorsqu'il a démarré son master 2. Et pourtant si, si. Ceux qu'il avait repéré comme étant déjà dans la place allait l'être. De toute façon, trop peu d'allocataires pour le nombre de Travaux Dirigés à faire. Donc on prend des vacataire. C'est facile, c'est souple. Et puis qu'il s'estime heureux de leur sort, noméo !

Le vacataire corrige donc des copies et surveille des partiels. Gratuitement. Pendant que les autres sont payés. ATER, MC et PROF. Lui, c'est pour sa poche. Il parait que dans certaines facultés, les heures de surveillances sont payées. Il parait. Je n'en ai pas eu la confirmation. Pareil pour les copies. Les copies sont payées quand les prof au bac les corrigent. Ca fait partie du traitement pour les universitaires. Pour les vacataires, c'est non. Mais il parait que de toute façon, ils ne doivent pas le faire. Mais bizarrement, ils le font quand même. Des pages et des pages de copies à corriger, des heures à passer devant son petit bureau. Consciencieusement  C'est formateur, parait-il. Comme s'il ne s'était pas tapé toutes les copies toute l'année. Comme s'il ne devait pas faire de galops d'essai ou de colles pendant l'année. Gratuitement (c'est souvent en dehors des heures de TD, donc c'est toujours pour sa poche, sans compter la surveillance, ect).

Le vacataire consciencieux passe donc beaucoup de temps à la faculté. Et ce n'est pas pour sa thèse. Il gère les quelques trucs administratifs concernant ses étudiants. Les problèmes divers et variés. Le bordel dans ses TD quand il y en a. Les étudiants pas content par leur note. Les étudiants avides d'en savoir plus sur le cours. Ect, ect. 

Le temps qu'il passe à la faculté, pour ses 30 euros de l'heure pour les 96 heures de cours/TD quand il a la chance d'en faire 96 (ce qui n 'est pas évident, vu que ça marche pas semestre et que assez difficilement divisible, ces 96 heures de cours par une heure et demie) n'englobe évidemment pas tout cela. Ca fait partie des 30 euros de l'heure. Point barre. 

Bien entendu, pas de ticket repas. Pas de convention collective. Pas de remboursement de frais. Ah si, j'ai eu droit, la toute première année, à une carte de photocopie de 100 unités. Byzance. Mais seulement la première année. Fallait pas déconner.

Le vacataire universitaire  comme si ce n'était pas assez, doit assister maintenant à des colloques ou des formations obligatoire. J'y ai réchappé de justesse. Mais j'ai failli y avoir droit. En clair, on passe encore plus de temps sans faire notre thèse pour justement nous préparer à faire notre thèse et pour nous évaluer. En clair donc, le fait de donner des cours ne suffit plus à se former, il faut aussi qu'on assiste obligatoirement à des colloques. Bien entendu quelques dérogations existent et après gueulante  le fait de donner des cours permettait de se faire dispenser de quelques obligations. j'ai envie de dire heureusement. 

Donc le vacataire universitaire n'a pas de loyer. Pas de bouffe à payer. Pas d’impôt (ah non ça, pas d’impôt  vu ce qu'il touche...). Pas d'essence à mettre dans sa voiture pour aller donner ses cours. Pas de recherches à faire pour sa thèse, souvent loin de sa base. 

Comme il est vacataire et pas allocataire, son directeur de thèse s'occupe de lui. Mais vaguement. Très vaguement. Moins de pression pour le directeur de thèse. S'il était lié à une école doctorale par une quelconque allocation de recherche, son directeur serait obligé de s'occuper de lui s'il veut que son école doctorale reçoivent les subventions par l'état l'année prochaine. Pour le vacataire/thésard c'est différent. S'il réussi, c'est tout benéf. S'il se plante, ce n'est pas bien grave. Ce n'est pas très important ni pour le directeur de thèse, ni pour l'école. Pas de grosses répercussion financière. Après tout, il assume sa connerie de s'être lancé dans cette aventure. Et comme le directeur de thèse reçoit quelques euros pour chaque thésard chaque année (il parait, j'en ai jamais eu confirmation de ça, tiens mais ça se tiendrait, dans un sens), c'est tout bénef de prendre pas mal de thésard.

Bien entendu, on a commencé à encadrer un peu tout ça. Vaguement. Mais c'est loin loin d'être la panacée. Beaucoup de gens se retrouvent sur le carreau. Mon seul regret, permanent, est d'avoir perdu pas mal d'années. Que je ne rattraperais jamais. De ne pas avoir pu soutenir ma thèse. D'avoir eu énormément de difficultés à pouvoir assumer mes cours, ma thèse et mes différents boulots en intérim pour payer mes factures. D'avoir un peu l'impression d'avoir été l'un des dindons de la farce, comme pas mal de mes confrères, dans le milieu universitaire.  Et le pire de tout, que tous les prof trouvent ça normal. Que le personnel administratif trouve ça normal (sauf une secrétaire  jeune, qui avait encore un peu de velléités contre un système établi). 

Comme s'il était normal de faire bosser des gens à l'oeil... Un bien bel exemple donc du service public, comme je l'ai vécu pendant des années. Qui m'a coûte une dépression nerveuse de 6 mois. A ne plus pouvoir supporter d'être enfermé dans une voiture. D'avoir une peur paralysante. Qui m'a bloqué. Qui m'a fait souffrir plus que ce que je n'aurais jamais imaginé.  Tout ça pour rien. 

Je me retiens toujours d'aller insulter les gens de cette faculté. Mais aucun n'y est foncièrement pour quelque chose. Personne ne peut rien faire. Tout est dans le système. 

N.B. : Je mettrais peut-être à jour ce texte lorsque le besoin s'en fera ressentir. 






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