Je ne te laisserais pas dire que tu fais partie de la génération sacrifiée

Je ne te laisserais pas dire que tu fais partie de la génération sacrifiée, toi qui a 20 ans et qui va partir, surement au Canada ou en Angleterre. Peut-être en Chine. Mais plus surement dans le coin. Je ne te laisserais pas dire ça parce que c'est la mienne, cette génération sacrifiée. La première a réellement avoir un revenu moins important que celle de ses parents. De tes parents.

Tu sais, j'ai 36 ans. Tu me prends pour un vieux et tu as surement raison. Trop vieux pour toi, à des années lumières de ce que tu vis, avec tes soirées, ta picole, ta musique, tes sorties, tes mecs, tes nanas, tes copines d'un soir que tu baises au fond d'une arrière cour. Et te sentir furieusement désenchanté par la brièveté et la pleine conscience de l'existence pour te permettre de penser que tu as quelque chose en plus dans le malheur que ma génération.

Cette putain de génération qui a connu un basculement dans un monde froid et sans plus de vie qu'un écran d'ordinateur portable ou d'un putain de smartphone dernier cri. Ce monde où se parler est plus simple que de se toucher. Et de se sentir. Parce que ça, ça devient de plus en plus insupportable pour un paquet de monde.

Tu n'es pas de cette génération sacrifiée parce que l'Etat, et le reste a enfin compris que ce pays va crever à force d'être paralysé. Paralysé par tout un système sur lequel il ne sait plus danser. Et qu'il commence à te former pour que tu plies tes bagages, le plus possible. Pour ne pas faire gonfler les chiffres du chômage qui le paralyse depuis 40 ans. Non tu n'es pas de cette génération sacrifiée ou l'apprentissage d'une langue se résumait à lire des texte de personnes mortes il y a un siècle et plus mais que tu comprends, c'est pour ta culture et ton enrichissement personnel.

Tu ne fais pas partie de cette génération avec des profs dépassés par des événements, se croyant toujours dans mai 68, avec un petit air de révolution dans les yeux au moindre chuchotement dans une classe. Non, tes prof, eux, sont désabusés. Ils sont sous cachets. Ils aiment leur métier mais personne ne leur rend et surtout pas tes parents, qui leur crache bien à la gueule le moment venu.

Tu ne fais pas partie de cette génération où pour avoir une sécurité de l'emploi, on te disait de passer un concours, qu'il y avait encore de la place. Alors que c'était faux. Toi, tu sais que ça l'est. Faux. Qu'il reste plus grand chose à faire dans ce pays à part tout brûler pour reconstruire. Et tu sais qu'être pyromane, c'est pas demandé à tout le monde. Mais tu n'es pas sacrifié. On t'a prévenu, dès que tu es né, que tu serais dans la merde ici. C'est pas que c'est nouveau, mais les gens d'en haut, l'ont admis.

Ils savent qu'ils ne feront plus rien contre ce qu'ils appellent la mondialisation. Ils ne comprennent de toute façon pas trop de choses ni aux banques ni aux nouvelles technologies. Ils écoutent des gens mais, pas les bons, parce que leur carnet d'adresse date de 40 ans. Comme eux en ont 60... il sont largués.

Faut pas leur en vouloir. Ils ont que des numéro de téléphone de leur pote de bahut. De ceux qui ont choisi la voie du privé pendant que eux se mettaient au service de l'Etat. Les jeunes, ils les connaissent pas trop et leur monde encore moins. Ca a toujours été le cas, tu me diras. Et auras surement raison. C'est juste que maintenant, avec nos moyens de communication, ça se voit. Et c'est peut-être ça le plus dramatique.

Non, tu n'es pas de cette génération à qui on a fait peur avec le SIDA après une époque ou tout le monde baisait à tous les coins de rue. Ou du moins, c'était ça. Tu fais partie d'une époque ou tu te prend déjà pour un homme avec ta baise parce que c'est plus facilement admis maintenant, que le SIDA aurait disparu comme par enchantement. Et qu'on te fais plus peur avec ça. Parce que maintenant, il faut baiser avec 15 ans. Profite, profite, profite. Ce sont ces petits moments qu'on garde précieusement, qu'on ne se souvienne ou pas des personnes avec qui on a fait ça. De toute façon, ça sera la dernière ou le dernier qui sera le plus important. Quoiqu'il arrive. Quoiqu'il arrive.

Grandir trop vite, comme nous avons grandis trop vite. C'est juste ce qui se passe pour toi. La durée est juste un peu plus raccourcie parce que tu as des trucs en plus qu'on avait pas : la lucidité de nos anciens, c'est à dire des gens de mon âge, qui savent que tout est perdu d'avance ici. Que si tu veux bien bouffer, bien vivre, il faut foutre le camps.

Cette génération sacrifiée, c'est la mienne. Toi, soit tu choisis de partir, soit de rester, mais ça sera ton choix. Tu as les cartes en main pour ça. Mais ne te plains pas. Tu vas voyager ou révolutionner ce pays. Parce qu'il y a pas le choix. Que tu votes ou pas. Que tu brûles des bagnoles ou pas. Il y a plus de boulot. Les gens dans les clous le sont de moins en moins. Et c'est la fin des derniers dinosaures qui pouvaient passer 40 ans dans une même boite. C'est fini tout ça. C'est fini. Et ça sera à rien de vouloir le faire. Ils savent qu'au moindre pet de travers de leur actionnaires, tu péteras. 

Alors tu créera ta boite. Et on t'aidera plus pour ça. Plus que moi. Plus que les autres de ma génération. Parce qu'ils ont pris conscience que ce pays n'avait plus grand chose à apporter pour ces jeunes générations. Enfin, j'aurais envie de dire. Depuis les années 80 c'est comme ça et il a fallu attendre les années 2010 pour qu'ils s'en rendent compte. Tu vas partir loin, mais tu reviendras peut-être. On revient toujours ici. Cherche pas. C'est le pays qui veut ça. Il y a quelque chose ici qui manque à beaucoup de gens qui sont partis. Mais ça va peut-être s’arrêter, maintenant que la bouffe est pareille sur toute la planète avec ces putains de sushi et de macdo. Peut-être que maintenant, tu te sentiras bien nulle part comme bien

Ce pays se meurt et c'est normal. Il veut maintenant résister au changement alors que c'est en partie à cause de lui que les trois derniers siècles ont connu des bouleversements, à une époque où ça se battait pour conquérir le monde avec les anglais. C'est fini, maintenant ils veulent rester entre eux. Parce qu'on ne leur laisse plus le choix, tu me diras. La capitale veut tout récupérer, tout le peu de richesses que ce pays a offrir. Les autres vont crever, tranquillement, avec quelques heurts, mais c'est inéluctable. On n'a pas bien fait les choses et il commence à être trop tard pour commencer à se poser la question de ce qu'il faudrait peut-être changer si on avait au moins un début d'idée.

Alors tu vois, tu n'es pas la génération sacrifiée. Parce que tu peux encore te barrer. Ca va surement être dur mais il y a beaucoup plus de destinations qu'à mon époque. Et surtout, tu n'as pas le temps d'avoir peur en avion, en train ou toutes ses conneries qu'on attrape quand on commence à vieillir, qu'on ne sent plus immortel comme je l'étais quand j'avais ton âge. Que se prendre une biture maintenant me coûte 2 jours quand toi, en 5 heures tu peux remettre le couvert. Que j'ai commencé à prendre des trucs pour aller "mieux" parce qu'il parait que ça arrive à des gens de mon âge.

Surtout ne fait pas ça. Ne prend pas ces machins. Et fuis. Ou pars plutôt. Parce que maintenant, tu peux le faire. 


Crédit photographique : film Mlancholia de Lars Von Trier (et ça serait bien que ses images lui appartiennent tiens)


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